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Photo du rédacteurBaptiste Boulan

GRANDS ENSEMBLES : REPONSE LOCALE OU REPONSE GLOBALE ?


Drancy, Cité Gaston Roulaud


Quand on évoque le terme « grand ensemble », dans sa représentation collective, l’opinion publique y voit une spatialisation des « problèmes des banlieues » sous forme de longues et grandes barres monumentales, aux connotations négatives. Il est vrai que « la question des banlieues renvoie à […] une concentration de problèmes […] mais elle renvoie également à des constructions mentales, sociales, politiques, morales. »[1] que l’on en fait.


Les grands ensembles, symboles des politiques de logements de masse d’après Seconde Guerre mondiale, sont aujourd’hui sujets à débat concernant leur devenir. Ils constituent un enjeu important de réhabilitation, modernisation et désenclavement qui prend place autour d’une complexité et une diversité de discours.


Dans ce court écrit, nous tenterons de déconstruire certaines images ancrées dans la représentation collective des grands ensembles, en interrogant la question de leur rénovation. Nous pouvons alors nous demander si la rénovation de ces grands ensembles peut être appréhendée de manière globale.


Pour répondre à cette problématique, nous nous intéresserons, en première partie, à ce qui a pu tendre vers une certaine uniformisation du logement social. Dans une seconde partie, nous essaierons de comprendre en quoi les grands ensembles sont, certes, considérés comme des entités semblables mais sont, pourtant, résolument différents des uns des autres. Enfin, dans une troisième partie, nous aborderons la question d’une rénovation locale, adaptée au territoire, prenant place dans une réflexion globale autour de la question du devenir de ces ensembles urbains.


I) Vers une uniformisation du logement social


À la suite de la Seconde Guerre mondiale, l’Etat entreprend la reconstruction du pays en développant les innovations « explorées au cours de l’entre-deux-guerres » [2] afin de produire un grand nombre de logements, rapidement, efficacement, de façon industrialisée.


a. Une réponse commune à la politique de logements de masse


Répondant à une forte demande en matière de logements, l’urbanisme des grands ensembles adopte la logique du logement collectif où la qualité des habitats, la rapidité de leur construction et l’économie de moyens en sont les maîtres mots. La volonté de taylorisation du bâtiment ainsi que la disponibilité de certains matériaux ont poussé les architectes et ingénieurs à largement employer le béton armé, dans une logique de préfabrication, légère ou plus lourde[3], pour construire ces ensembles.


Ces procédés nouveaux, peu habituels pour l’époque, mais peu à peu généralisés, influent directement sur l’appréhension globale que l’on peut avoir de ces édifices aujourd’hui comme des entités analogues et fortement identifiables.


b. Un modèle urbain innovant hier, dépassé aujourd’hui


Le modèle urbain du grand ensemble s’insère, à l’époque, dans un courant de pensée hygiéniste et moderniste qui prône une amélioration de la qualité de vie des habitants. On retrouve des grands principes de composition dans la majorité de ces ensembles qui se veulent offrir un cadre de vie agréable à travers une « libération du sol » [4] facilité par la densification en étages des bâtiments. De grands « espaces verts centraux » 4 prennent place au sein du quartier en dialoguant avec un « urbanisme vertical » 4 et développent les notions de convivialité et de vie dans la cité.


Ces logiques urbaines, synonymes d’innovation et de progrès dans le passé, sont aujourd’hui, dépassées et souvent symboles d’enclavement. Le plus souvent en rupture avec leur environnement, les ensembles bâtis marquent une frontière physique dans la ville et l’articulation de leurs espaces publics ne correspond plus aux usages actuels.


II) Des grands ensembles considérés comme semblables mais résolument différents


Les grands principes architecturaux et urbains vus précédemment s’appliquent à la majorité des grands ensembles mais il n’en reste pas moins que chacun de leurs concepteurs les a adaptés, ajustés et proportionnés à chacun des sites de leur implantation.


a. Des ensembles urbains conçus hors-sol et hors-contexte ?


Les grands ensembles s’inscrivent dans des territoires, le plus souvent, déjà constitués d’un tissu urbain et paysager. Beaucoup pensent que ces logements ont été pensé comme hors-sol, pouvant être implantés dans n’importe quel site, indépendamment de leur contexte. Il n’en est rien. Ces derniers répondent à des logiques de conception en fonction de « l’ensoleillement »4 du site, « de la dimension historique » 4 et de « la composition à l’échelle du territoire » 4, en prenant en compte les voies et tracés existants. Certains quartiers prennent alors en considération « la topographie » 4 des lieux et « la gestion des limites » 4 avec le tissu urbain existant. On remarque alors que les architectes des grands ensembles avaient une certaine conscience de l’impact de ces nouvelles « silhouettes urbaines » [5] dans le paysage et ils ont pris compte d’un maximum de données pouvant intégrer au mieux ces ensembles urbains dans leur environnement existant.


b. Variations esthétiques et constructives


Il est certain que la diffusion et la communication autour des différentes techniques de construction participent à la généralisation et l’harmonisation de l’apparence des grands ensembles. Cependant, il n’en reste pas moins que chacun d’entre eux a été bâti selon sa propre association de systèmes constructifs, employant plus ou moins la « préfabrication » [6], à petite ou à grande échelle. La diversité d’emploi de ces procédés amène obligatoirement à une variation en matière d’esthétique. Par ailleurs, on retrouve également cette diversité d’intervention dans le traitement des espaces publics, espaces paysagers et autres cheminements extérieurs.


III) Une rénovation adaptée au territoire


Dans le processus de rénovation de ces grands ensembles il est nécessaire de prendre en compte les réflexions et innovations globales menées à l’époque, mais également leurs variations et adaptations, locales, en fonction de leur site d’implantation.


a. Des enjeux environnementaux


Comme nous avons pu le voir précédemment, les questions d’implantation et d’intégration des grands ensembles dans leur environnement sont encore actuelles mais le modèle général sur lequel elles se basent, est aujourd’hui obsolète. Le premier enjeu de leur rénovation est environnemental. Dans un contexte où les questions écologiques sont essentielles, le respect des normes en matière d’isolation, de thermique et de « consommations énergétiques » [7] est primordial. De nouveau, une réflexion globale est à apporter en fonction des pathologies communes aux grands ensembles de cette période. Des questionnements à l’échelle locale peuvent cependant, rendre compte des pratiques et des « usages »7 de chacun des habitants, tout en les associant à la réhabilitation de leur cadre de vie et à son amélioration.

La rénovation de la cité du Lignon à Genève a été déclinée en quatre propositions « hiérarchisées » en fonction du degré « d’intervention » de chacune sur le bâti existant. Chaque propriétaire a dû s’exprimer sur ces propositions et effectuer un choix.


b. Un changement de perception induit par la réhabilitation ?


Il est nécessaire d’effectuer cette rénovation dans le respect du « caractère architectural »[8] du bâti, support d’identité sociale pour les habitants. Aujourd’hui ces derniers sont confrontés à une certaine stigmatisation de la part du reste de la société. Rendre aux grands ensembles leur caractère d’innovation à travers une rénovation exemplaire, en accord avec les principes écologiques actuels mais aussi dans le respect du « patrimoine architectural existant »8 est certainement utopique mais participerait au changement de perception de ces ensembles urbains dans l’imaginaire collectif.



Nous avons vu dans ce développement, que l’image uniforme que l’on peut avoir des grands ensembles est réductrice vis-à-vis des divers procédés techniques, architecturaux, urbanistiques et paysagers qui ont fabriqué ces ensembles urbains. Nous avons également révélé qu’il était primordial d’inscrire leur rénovation dans un processus global mais adapté à l’échelle locale, d’un territoire, d’un quartier, pour que cette dernière soit efficace, durable et partagée par tous les acteurs.

Bien que contestés, les grands ensembles constituent un ensemble architectural dont l’enjeu de sa réhabilitation est intrinsèquement lié à des questions patrimoniales. Nous pouvons alors nous demander si la patrimonialisation de ces derniers, au sens du classement et de la protection, est un outil de leur conservation ou, un frein à leur réhabilitation. Ce patrimoine constitue aujourd’hui une ressource essentielle pour construire le présent de ces territoires et inventer leur avenir.


Baptiste Boulan

[1] AVENEL, C. (2009). La construction du « problème des banlieues » entre ségrégation et stigmatisation. Journal français de psychiatrie, pp. 36-44. https://doi.org/10.3917/jfp.034.0036 [2] LAMBERT G., NEGRE V., « Les chantiers de l’innovation constructive », in Ministère de la Culture et de la Communication, Les grands ensembles. Une architecture du XXe siècle, Paris, éd. Carré, 2011, p. 188-205. [3] LAMBERT G., NEGRE V., « Les chantiers de l’innovation constructive », in Ministère de la Culture et de la Communication, Les grands ensembles. Une architecture du XXe siècle, Paris, éd. Carré, 2011, p. 188-205. [4] BLANCHON B., DELBAERE D., GARLEFF J, «Le paysage dans les ensembles urbains de logements de 1940 à 1980»? in Ministère de la Culture et de la Communication, Les grands ensembles. Une architecture du XXe siècle, Paris, éd. Carré, 2011, p. 206-221. [5] BLANCHON B., DELBAERE D., GARLEFF J, «Le paysage dans les ensembles urbains de logements de 1940 à 1980»? in Ministère de la Culture et de la Communication, Les grands ensembles. Une architecture du XXe siècle, Paris, éd. Carré, 2011, p. 206-221. [6] LAMBERT G., NEGRE V., « Les chantiers de l’innovation constructive », in Ministère de la Culture et de la Communication, Les grands ensembles. Une architecture du XXe siècle, Paris, éd. Carré, 2011, p. 188-205. [7] GRAF F., MARINO G., «les enveloppes de la cité du Lignon à Genève : enjeux patrimoniaux et impératifs énergétiques», in VANTAETHEM France et THERRIEN Marie-Josée, La sauvegarde de l’architecture moderne, Québec, éd. Presses universitaires du Québec, 2014, pp. 225-237. [8] GRAF F., MARINO G., «les enveloppes de la cité du Lignon à Genève : enjeux patrimoniaux et impératifs énergétiques», in VANTAETHEM France et THERRIEN Marie-Josée, La sauvegarde de l’architecture moderne, Québec, éd. Presses universitaires du Québec, 2014, pp. 225-237.

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